Campagne pour la ratification ou le rejet du projet de Constitution pour l'Europe

mai 2005 –
 

 

...SUITES

 

 
     

 

 

       Pardon de vous importuner encore avec mon aventure personnelle, mais à l’occasion de cette mise en ligne, et sans doute en raison de l’ampleur de la réaction qu’elle provoque, bien au-delà de ce que j’en attendais, je découvre un nouveau monde, à l’intersection des médias classiques (audiovisuels ou écrits) et du réseau internet : celui des pratiques journalistiques d’identification et de présentation d’un auteur de site en vue de sa décrédibilisation méthodique.

       J’avais appris, pour mon plus grand amusement (dans un premier temps !), qu’un avis de recherche avait été lancé sur la question «Thibaud de La Hosseraye existe-t-il ?» Question troublante s’il en est pour l’intéressé, quand on la lui pose directement, comme ce fut le cas. Ma réaction première fut que je me le demandais moi-même depuis longtemps, et qu'après tout, je n'étais peut-être pas le mieux placé pour y répondre. A la réflexion, cependant, je me voyais plongé dans une perplexité qui n’était plus seulement métaphysique : se pouvait-il qu’on eût autant de mal à croire à une démarche telle que la mienne ? Quel degré de scepticisme à l’égard de toute exigence morale ne fallait-il pas avoir atteint pour en arriver là ? Mais je ne me doutais pas que je péchais encore par excès d’optimisme et de naïveté (pardon, c’est l’un de mes défauts…vous allez pouvoir en juger !).

       Mercredi 18 mai, donc, je reçois un coup de fil de (…attention ! Je dois maintenant dire : quelqu’un qui se présente comme) Daniel Schneidermann soi-même, l’animateur de l’émission « Arrêt sur image », grand expert en décryptage de manipulations médiatiques (à ce que l’on m’a « raconté » depuis !). Très impressionné (j’avais entendu parler de lui lors du grand lessivage du journal « Le Monde »), j’essaye de répondre avec le plus d’exactitude à quelques questions qu’il commence par me poser sur ma vie, ce qui donne, dans sa version du soir (sur son Big Bang Blog où je vous recommande d’aller voir, ça vaut le détour !) que je « raconte, en bafouillant un peu et cherchant [mes] mots» (notez qu’on peut déjà douter que je sois réellement l’auteur de mon propre texte…) « l’histoire plausible » (je cherche mes mots pour m’efforcer de « raconter » une « histoire » qui se tienne…) « l’histoire plausible » (soit !) « d’un jeune homme idéaliste » (ici, un sourire de rigueur, au moins attendri)…etc…(je vous passe ma vie).

       Ici, vous vous dîtes, peut-être : « Thibaud, méfie-toi. Les bordées d’injures dont tu as sans doute été l’objet depuis ton engagement pour le Non auront fini par t’acculer à une forme légère de paranoïa, tu exagères, il n’y a rien là que de très bienveillant, somme toute »…Attendez donc la suite. Après s’être informé de mon travail (limité, pour la circonstance, à la question de l’Europe) au sein du club Dialogue & Initiative, Schneidermann me demande « Quelle est votre personnalité politique préférée ? »
       Je lui réponds qu’il n’y en a pas, du moins de vivant. Il insiste. Je cherche de nouveau, et c’est là que me vient à l’esprit la seule personnalité que je puisse aujourd’hui encore créditer d’une constance, d’une cohérence et d’une fidélité sans faille à nombre d’idéaux que je partage, comme beaucoup de gaullistes, même si je ne lui vois aucun avenir politique, justement parce que trop peu politique ou trop rigide, à mes yeux, pour être efficace –et je lance (énorme bourde ! mais il faut imaginer le climat de confiance qu’il avait su établir entre nous –c’est vraiment un métier) : « Oui, peut-être Chevènement… »

       Et voilà ce que donne dans le Blog, cet aveu enfin arraché de haute lutte, quoique du bout des lèvres et dans une moue dubitative : « Lui dont l’homme politique favori est Jean-Pierre Chevènement (ce qui, curieusement [!], ne l’a pas empêché de s’engager dans un mouvement pour le Oui, mais « j’étais touché par la sincérité de Jean-Pierre Raffarin ») craint pour l’indépendance extérieure [sic !] française si le TCE entrait en vigueur… » Ca y est ! Enfin démasqué ! Enfin discrédité ! Enfin (surtout !) « ringardisé » ! Vous venez d’assister là, en direct, à une opération de manipulation médiatique par un expert en décryptage et dénonciation de manipulations médiatiques !

       Mais ce n’est pas fini ! J’ai gardé le meilleur pour la bonne bouche. Lisez ça : « Au total, qu’en pensé-je ? Je pense que Thibaud existe [Chouette : Et on peut le dire, puisque je ne suis plus…personne !]. La chargée de communication de Dialogue & Initiative [que voilà une source, elle, bien crédible, surtout pour un journaliste de gauche !] me l’a confirmé, en précisant bien qu’il n’était pas adhérent encarté du club, mais simple « auditeur libre » [savoureux : on peut trouver trace de mes Notes de synthèse par une simple recherche Google] des réunions. C’est un premier point. Et que son texte, peut-être promis dans la semaine de campagne qui reste, à une cyber-carrière aussi fulgurante que celle d’Etienne Chouard [notez le « carrière » si révélateur des obsessions de ce petit monde], est le témoignage d’un admirateur de Chevènement égaré, on ne sait pourquoi [allons donc !], chez les ouistes. En l’état actuel de mes informations, issues d’une enquête express, je ne puis rien en penser de plus ».
       Quel scrupule, une fois que le tour est joué ! Ce qui est superbe ici, c’est la vitesse à laquelle fonctionne la connivence entre droite et gauche dans l’entreprise de démolition. Inutile de préciser que la « confirmation » de mon prétendu chevènementisme [!] par la géniale chargée de communication de Dialogue & Initiative ne pouvait trouver sa source que dans son dialogue même avec Schneidermann, tout fier de son butin fraîchement acquis ! J’imagine la question : « et alors, c’est vrai que son homme, c’est Chevènement ? –oh, mais vous savez, il n’avait pas de carte, et puis, on est très ouvert, chez Dialogue & Initiative… »

       Non, je ne suis pas parano et rassurez-vous, je ne risque pas de le devenir…A propos de mon existence, un de mes correspondants s’en était assuré lui-même avant de me contacter, en même temps que de l’authenticité de ma collaboration active au club en question ; ce n’était pas difficile et je n’avais même pas pensé, dans mon innocence coupable, à indiquer la marche à suivre : faire une simple recherche Google.






I- Un dernier mot, ou : la genèse du 20ème argument



 

       Me voilà donc promu officiellement « sous-marin chevènementiste ». Outre le caractère particulièrement savoureux de cette affirmation pour ceux qui me connaissent, elle me paraît procéder, pour autant que je puisse la comprendre, du raisonnement suivant :

1- J’ai travaillé aux côtés de membres de Dialogue & Initiative, donc je serais de droite.
2- Mais en même temps je me prononce clairement contre une Constitution qui constitutionnalise le libéralisme, donc je serais à gauche de la gauche.
3- Comment comprendre un tel paradoxe ? Il doit être chevènementiste.

       Eh bien pas du tout. Comme j’ai eu pourtant l’occasion de le dire mot pour mot à monsieur Schneidermann : je ne me reconnais dans aucun des partis existants, et je n’ai pas de « personnalité politique vivante préférée ». Il est vain de chercher à me cata(b)loguer chez tel ou tel.

       Il se trouve, certes, que l’on m’a invité à apporter ma contribution aux réunions de Dialogue&Initiative, et j’ai été heureux de pouvoir le faire (1). J’estime qu’il n’est jamais mauvais de penser, que mon voisin de droite soit un affreux gauchiste ou celui de gauche un horrible sarkozyste. Pour autant, ce travail ponctuel a été fait en toute indépendance à l’égard de Dialogue&Initiative même, puisque je n’ai jamais été leur adhérent.
Si l’on m’avait sollicité pour effectuer un même travail à gauche, je n’aurais pas moins accepté, a fortiori lorsqu’il s’agit de travailler sur des questions européennes, qui sont bien celles qui transcendent le plus nettement – nous le constatons actuellement – le clivage droite/gauche.

       Pour ma part, donc, je ne me connais aucun attachement en politique, dans sa pratique actuelle. Je me suis seulement efforcé de comprendre un texte soumis au vote des citoyens, en faisant preuve du plus de neutralité dont je sois capable.

Le procédé de M. Schneidermann m’incite à publier le 20ème argument qu’il manquait pour voter Non à cette Constitution, et que j’avais finalement choisi de ne pas mettre en ligne, dans la mesure où son caractère inédit ne tient qu'à sa radicalité :

20/ Au-delà de la France, mais aussi du destin de l’Europe, il y a une instance encore supérieure qui est celle du principe et de la pratique de la démocratie. Or les partisans du Oui eux-mêmes reconnaissent le déséquilibre patent des dispositifs médiatiques respectivement proposés aux argumentaires du Oui et du Non, en faveur du Oui (particulièrement quand il était donné perdant), déséquilibre encore accru par de régulières séquences audiovisuelles d’« information » et d’« explication » de la Constitution prétendument neutres et en réalité saturées d’inexactitudes tendancieuses et parfois de contre-vérités criantes (comme celle entendue sur France 3 que la Charte aurait valeur « juridiquement contraignante »). Le seul souci de la démocratie devrait naturellement incliner un citoyen encore hésitant à faire acte de résistance à une telle entreprise d’aliénation en votant Non, pour la seule expression de sa liberté, voire de sa simple dignité de citoyen.

 
NOTE

 

1- A ce propos, alors que je n’ai été l’objet d’aucune tentative de déstabilisation de la part de Dialogue & Initiative depuis la publication de mon texte, et que je ne nourris donc aucun motif d’animosité à leur égard (dont je serais de toute façon bien incapable), M. Schneidermann, profondément indifférent à la substance même des arguments avancés sur www.ineditspourlenon.com contre le projet de Constitution, se plaît à livrer sur Internet quelques noms de membres de D&I qui n’ont rien demandé à personne. Sans doute est-ce là, pour lui, que se situe l’essentiel de l’enjeu référendaire : les querelles de personnes. Mais l’expression d’une telle agressivité n’honore en rien ni la presse ni la qualité du débat au sujet du référendum. Ici aussi, ce n’est pas parce que de telles méthodes seraient communément usitées dans la pratique actuelle du journalisme qu’il faut s’en satisfaire et ne pas chercher à s’en distinguer.

 






II- Lecture critique d'un commentaire* de l'Exposé des arguments
* (par l'équipe DSK – consultable sur leur blog –)




 
1- Equipe DSK : Relevons, à titre liminaire, que l'auteur se dit et s'assume de droite [ Où donc? En l'occurrence, je ne comprends même plus ce que cela peut vouloir dire. ]. Sa critique relève plus de celle de la droite souverainiste à la sauce Villiers ou Dupont-Aignan que de celle d'une partie de la gauche [ A tout prendre, j'aurais préféré Séguin...et tant qu'à jouer le sous-marin du souverainisme dans les eaux d'un Oui de droite, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout de la duplicité : un souverainisme de gauche, à la Chevènement (cf. plus haut)? Mais trêve d'étiquettes ! Ce qui est sûr, c'est que rien, dans mon texte, ne s'oppose à une option fédéraliste, bien au contraire: c'est uniquement dans cette perspective que je me place. L'alternative, pour moi, est simplement un peu plus ouverte. Je refuse la formule Bayrou : n'importe quelle Constitution plutôt que pas de Constitution (qui ne laisse aucun choix), et j'aimerais qu'on accepte la formule inverse, à mes yeux nettement plus sensée : plutôt "pas de constitution" que "n'importe quelle Constitution". Argument 13 ]. Cela n'empêche pas de la réfuter...


" Un Non français sera d'abord, aux yeux de l'Europe comme du monde, celui de la France et en cela, il parlera de lui-même"

2- Equipe DSK : faites-lire cet argument à un étranger: il vous répondra : "c'est l'exemple même de l'arrogance dont vous Français font trop souvent preuve". Sortons nous de l'idée que c'est parce que la France, dans sa grandeur, a parlé, que les autres vont suivre tels les moutons de Panurge... [ Qui peut-on espérer convaincre avec ce genre de rhétorique hors propos? Je ne parle que du projet social français et c'est un homme "de gauche" qui me trouve "arrogant". Mais c'est exactement le discours de Sarkozy! Argument 12 ]

Cet argument donne malheureusement le ton au reste de la critique. Celle-ci reprend des arguments connus :


"ce qui pose problème c'est le libéralisme de la Constitution "

3- Equipe DSK : ce que dit DSK et ce que dit le Parti socialiste, c'est que ce traité est le plus social que l'Europe ait jamais connu [ Ce ne serait pas contradictoire, malheureusement, même si c'était vrai. ]. Le problème n'est pas de jeter le capitalisme libéral par dessus bord, il est de le contrôler, de l'humaniser et surtout de le réformer: c'est cela le projet social-démocrate et le traité constitutionnel légitimise ce projet. [ C'est juste l'inverse qui est vrai. Il est curieux, à ce propos, que les Oui "de gauche" restent aussi discrets sur le "Manuel critique du parfait européen" de Jacques Généreux : on dirait qu'ils sont les seuls à ne pas en avoir entendu parler. Qu'on relise, tout de même, l'article III 314 du projet de Constitution: « Par l'établissement d'une union douanière, conformément à l'article III 151, l'Union contribue, dans l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres ». Maurice Allais (prix Nobel d'économie 1988) a raison de dire qu'« il résulte de cet article que non seulement la Constitution ne protège en aucune façon contre les excès du "libéralisme", mais au contraire institutionnalise la suppression de toute protection des économies nationales de l'UE » (Le Monde, 15-16 mai 2005). Tout ce qu'on trouve à nous répondre là-dessus, c'est que c'est déjà le cas depuis le traité de Rome de 57 ! Je ne comprends même pas le sens de cette objection : c'est comme si un défenseur de la peine de mort avait prétendu son abolition impossible pour la seule raison que cette peine était prévue par la loi. Arguments 13 et 16 ]


"il y a une divergence radicale sur le fond entre oui de droite et de gauche puisque la droite approuve le libéralisme tel que le normalise la Constitution alors que la gauche ne l'accepte et ne consent à le constitutionnaliser que dans la perspective de le corriger".

4- Equipe DSK : cette différence d'approche, réelle, entre les partisans du oui de droite et ceux de gauche est bien la preuve de ce que les tenants du non s'épuisent à vouloir réfuter: à savoir, que la Constitution européenne permet de mener des politiques de droite comme des politiques de gauche [ Rectificatif, simplement logique : c'est seulement la preuve que c'est ce que prétendent les partisans du Oui. ]. Elle constitue une maison commune dans laquelle chaque citoyen européen peut se reconnaître quelles que soient ses convictions (à conditions que celles-ci ne soient pas extrêmistes car la Constitution rejette la xénophobie de même que le modèle d'économie planifiée à la soviétique.) [ Notons le petit relent habituel de diabolisation du Non, grâce au couple infernal Le Pen (pour la xénophobie) - Buffet (pour la planification à la soviétique). Cette com' subliminale s'épuise en vain : la technique stalinienne de l'amalgame n'arrivera pas à convaincre un seul partisan du Non de bolchévisme antisémite ou vice-versa. Ce qui est bien en question, en revanche, c'est le rétrécissement ici reconnu des angles de perspective encore ouverts par cette Constitution, pour d'éventuelles alternatives de politique économique et sociale. Permettez-moi de refuser, sans arrogance, qu'on m'impose de choisir, à l'avenir, entre blanc bonnet et bonnet blanc, comme disait le sale communiste ex-résistant Jacques Duclos. Or c'est déjà ce qu'on essaye de faire en me soutenant que voter Non à cette Constitution, c'est voter Oui à sa partie III ! –Un mot encore sur Duclos. Pardon pour les amateurs d'étiquetage, mais cette référence m'amuse : elle m'a été soufflée, non par un communiste, mais par un "gaulliste de gauche" que j'estime, personnellement, très loin à la gauche de DSK, lequel n'est certainement pas, de tous nos acteurs politiques, le plus gêné de n'avoir à opter qu'entre social-libéralisme et libéralisme social. Mais tout le problème de la démocratie en Europe est justement là ! On parle d'extension des "compétences" du Parlement européen : à quoi bon, à ce degré de prédétermination constitutionnelle de la politique européenne ? Qui ne voit que cette inflation du terme de "compétence" dans la Constitution ne sert qu'à éluder la question des pouvoirs effectifs ? Cette Constitution est une machine absolument originale : une machine à produire du déterminisme et à s'y enfermer. Ça aussi, c'est de l'inédit : du jamais vu. Décidément, vive Giscard ! Argument 16 ]


"La gauche devrait plutôt réaliser qu'en votant Oui, les Français prendraient le risque énorme de laisser la voix du Non à une autre Nation, nécessairement moins sociale ou plus libérale que la France."

5- EQUIPE DSK : croire qu'un pays qui vote non se met en position de force au sein de l'Europe, c'est se tromper lourdement. C'est comme affirmer que ce qui fait avancer la voiture, c'est le frein ! Au sein de la voiture Europe, mieux vaut être le volant ou le moteur (franco-allemand)... Les partisans du non nous proposent comme projet européen de prendre la place de l'Angleterre de John Major : le rôle du frein qui n'a jamais réussi à empêcher les avancées de la construction européenne mais au mieux de les retarder (la politique sociale) ou de s'en tenir à l'écart (l'euro). [ Chacun jugera de la pertinence de cet argument...surtout pour l'Angleterre (!), le Danemark, etc. ]


"la Charte n’a pas de valeur juridiquement contraignante puisque tout en s’inscrivant dans la Constitution, elle y inscrit en même temps la restriction explicite qu’aucun de ses articles ne saurait prévaloir, dans aucun des Etats membres, sur les pratiques institutionnelles de cet Etat (cf. II-111-2, II-112-4 et 5 et le préambule) (19). Au contraire, la partie III, elle, se présente elle-même comme absolument contraignante et elle est littéralement normative."

6- EQUIPE DSK : juridiquement, tous les articles de la Constitution se valent. DSK, ni aucun leader du PS favorable au oui (à notre connaissance) n'a prétendu le contraire. Affirmer que la Charte doit s'incliner devant le droit national est inexact: lisez les articles cités, ce n'est pas ce qu'ils disent ! Ce que dit le texte, c'est que la Charte ne crée pas un droit général pour l'Europe à légiférer en matière de droits fondamentaux. Elle indique par ailleurs que certains droits sont inspirés des traditions constitutionnelles nationales (par exemple le droit à l'objection de conscience) et que, en tant que tels, ils doivent être interprétés conformément à ces traditions. [ Merci de cette confirmation. Mais honnêtement, je ne vois pas très bien où je suis contredit... ]


"la Constitution inféode l'Europe à l'OTAN"

7- EQUIPE DSK : tordons le cou une fois pour toutes à cet argument. [ J'aime ce langage guerrier, quand on aborde le sujet de la défense. En revanche, le "une fois pour toutes" ne semble-t-il pas d'une arrogance par trop "française" ? ]

a) D'abord, cessons la schizophrénie: la France est membre fondateur de l'OTAN. Elle ne fait plus partie du commandement militaire intégrée mais elle est juridiquement tenue par toutes les dispositions du traité de l'Atlantique nord. La situation est la même pour la grande majorité de nos partenaires européens. Quoi que dise le traité constitutionnel, nous sommes tenus de respecter nos engagements au sein de l'OTAN. Le traité constitutionnel prend la peine de le dire explicitement... dans les mêmes termes que les traités européens actuels (art I-41 paragraphe 2) ! Alors pourquoi s'en offusquer ? [ Parce qu'il ne s'agit pas d'un "traité" mais d'une Constitution et que, comme le dit le tout premier article qu'on a tout de même dû lire: « la présente Constitution établit l'Union européenne à laquelle les Etats membres attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs », c'est-à-dire ceux-là même qu'elle définit. Une Constitution est constitutive de l'entité politique à laquelle elle s'applique et constitutive, non seulement dans les faits, mais en droit. Il est inquiétant que sur tous leurs points les plus faibles, les partisans du Oui ne parlent plus de Constitution, mais de "traité constitutionnel". Comment se peut-il que ce double langage ne suffise pas à les discréditer ? Arguments 9 et 14 ]

b) Est-ce à dire que la défense européenne est à tout jamais soumise au diktat américain ? NON ! Avant de tirer à vue sur l'OTAN, il faudrait peut-être étudier les obligations précises qu'elle nous impose. Quelles sont-elles ? Il s'agit d'une obligation d'assistance mutuelle en cas d'agression armée: c'est ce qu'on appelle la défense commune ou la défense collective. La défense européenne, organisée au sein du traité de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) a toujours reconnu, depuis les années 50, la prééminence de l'OTAN dans ce domaine. Dans ce domaine précis, tout ce que change le traité constitutionnel, c'est d'affirmer l'existence d'une obligation d'assistance mutuelle propre à l'UE à côté de la solidarité atlantique tout en reconnaissant que cette dernière demeure prioritaire en cas d'agression (art I-41 paragraphe 7). C'est déjà un grand progrès [ Le "progrès" consisterait donc à subordonner explicitement à l'OTAN l'assistance mutuelle nouvellement propre à l'UE ? Je comprends qu'on en veuille encore, ici, à de Gaulle et Mendès-France d'avoir fait "capoter" la CED (1954), et cela précisément contre l'euro-atlantisme qu'on nous ressert maintenant – la vengeance est un plat qui se mange froid – comme une prouesse anti-anglo-saxonne (voir la suite) qui est en réalité une formidable victoire anti-européenne : c'est ce genre de "défenseurs" dont l'Europe est fondée à dire : « gardez-moi de mes amis, mes ennemis, je m'en charge ». Argument 14 ] et, pour tous les Etats atlantistes, Royaume-Uni, Pays-Bas, etc... (sans parler des Etats-Unis [ Mais on en parle ! Quel lapsus ! Je ne sais pas s'ils étaient représentés à la Convention, mais, visiblement, ils n'en avaient pas besoin. Argument 14 ]), c'était une hérésie qu'ils ont mis très longtemps à accepter au cours de la négociation, en accusant la France de chercher à affaiblir le lien transatlantique ! [ Ce genre d'argument d'autorité n'impressionne plus que ceux qui veulent y croire. Comme si on n'avait aucune idée des procédés en usage dans toute négociation ! ]

c) En revanche, l'OTAN ne nous impose aucune obligation s'agissant de l'assistance mutuelle face aux autres types de menaces (terrorisme, catastrophes, naturelles, épidémies). Dans tous ces domaines, le traité constitutionnel crée une obligation d'assistance entre Européens, en toute indépendance par conséquent vis-à-vis de l'OTAN (art. I-43 et III-278). [ On est heureux et fier d'apprendre (à ce point pénultième de la progression argumentative) que les USA nous autoriseront à nous aider mutuellement. ]

d) Mais le point crucial, c'est celui qui a trait à ce qui est réellement l'aspect important pour l'Europe de la défense aujourd'hui: l'intervention militaire dans les pays tiers. Le défi pour l'Europe au XXI siècle, ce n'est plus de se défendre contre une invasion de chars soviétiques, mais de pouvoir choisir d'intervenir ou pas, en accord avec les Nations-Unies, dans toutes les régions du monde où il faut aller prévenir ou mettre fin aux conflits ou venir au secours de populations en danger. Dans ce domaine, l'OTAN ne nous impose pas non plus d'obligation. Nous avons toujours refusé, au sein de l'OTAN comme dans le traité constitutionnel, de reconnaître à l'OTAN une quelconque "priorité d'intervention". Cela veut dire que le renforcement de l'harmonisation et l'efficacité des capacités militaires européennes permises par le traité constitutionnel donnera à l'Europe une puissance militaire indépendante des Etats-Unis et de l' OTAN. [ L'article I 41-2, alinéa 2, énonce littéralement une exigence absolue (et constitutive) de compatibilité de « la politique de l'Union » avec « la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre » qui est celui de l'OTAN. Que le lecteur veuille bien se reporter au texte et qu'il en profite pour apprécier le soin avec lequel cette perle est cachée dans l'huître. Qu'il juge de lui-même, à partir de là, qui a le droit d'accuser qui de contre-vérité ou de "mensonge" puisque tant de partisans du Oui n'ont que ce mot à la bouche, symptomatique de leur propre état d'esprit, du peu de cas qu'ils font de la dignité des personnes et surtout, finalement, de leur propre dignité. Argument 14 ]


8- EQUIPE DSK : dernier argument de ce site Internet: l'argument archi-classique de la confusion entre traité constitutionnel et projet de directive Bolkestein. [ Ce n'est jamais bien de "confondre". Il n'en reste pas moins que la "directive Bolkestein" se trouve en toutes lettres contenue dans le dernier alinéa de l'article III 145 qu'on voudra bien lire intégralement : « sans préjudice de la sous-section 2 relative à la liberté d'établissement, le prestataire [de l'un des nombreux types de services définis plus haut] peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l'Etat membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet Etat impose à ses propres ressortissants ». On notera que le prestataire peut travailler dans les mêmes conditions que celles que l'Etat impose à ses seuls ressortissants. Il n'est pas dit qu'il ne peut travailler que dans ces conditions. Il est dit...le contraire ! Comment ne pas voir la différence entre "pouvoir" travailler dans certaines conditions et se les voir "imposées" (Apprécions, du reste, la rhétorique du texte : c'est au nom de la liberté de "pouvoir" qu'il faut réduire la nécessité d' "imposer") ? Que manque-t-il encore au juste? Uniquement la précision de la durée de cette prestation temporaire, ce qui fait tout l'objet de la directive. Comment donc la Constitution permettrait-elle de se battre contre la Constitution !? Il faut arrrêter de prétendre qu'elle dit tout et son contraire ! Elle est parfaitement cohérente : c'est la moindre de ses "qualités". Quant à moi, je ne conteste même pas l'éventuelle opportunité d'une "directive" Bolkestein. Je dis que le seul terme de "directive" (pour désigner l'ensemble du dispositif qu'elle programme) est un piège destiné à nous faire croire, jusqu'au 29 mai, qu'elle n'est pas déjà constitutionnalisée dans ce projet de Constitution. Et que ceux qui soutiennent l'inverse, ou bien s'aveuglent plus ou moins volontairement, ou bien choisissent de jouer un jeu extrêmement dangereux. Et je trouve mon jugement bien modéré, comparé aux injures dont je suis abreuvé par nombre de partisans du Oui, en particulier "de gauche" (à moins que "menteur" ou "malhonnête" ne soient pas pour eux des injures, ce que je vais finir par croire, malheureusement...). Arguments 18 et 19 ]

9- EQUIPE DSK : rappelons seulement sur ce point, déjà abondamment réfuté [ inutile de préciser ni où, ni quand, ni comment...], que ni DSK ni les autres partisans socialistes du oui n'ont soutenu que la directive Bolkestein était anti-constitutionnelle. Ce qui est clair, en revanche, c'est que le traité constitutionnel nous donnera plus d'outils juridiques et politiques pour la combattre. Pour ne prendre qu'un exemple [ entre mille, sans doute...]: le droit d'avertissement donné aux parlements nationaux (parfois appelé "carton jaune" [ toujours cette arrogance française de prétendre, à soi tout seul, vider tous les joueurs du fameux "terrain de jeu" de Giscard (on nous la resservira, celle-là, chaque fois qu'il faudra reblanchir le sale "mouton noir"....) ], même s'il est normalement destiné à combattre les textes qui empiètent sur les compétences nationales [ c'est-à-dire même s'il ne s'applique pas ici ], pourra en fait [ notez bien « en fait »...mais malheureusement pas « en droit »! ] aussi servir à exprimer solennellement [ cette solennité impressionne ] l'opposition de nos représentants à ce genre d'initiatives. [ Entre mille, c'est tout ce qu'on a trouvé à retenir comme exemple ? ]
                                                                                                                                                                                           
GM / Equipe DSK


       Je ne voudrais surtout pas paraître, à mon tour, offensant, mais j'en viens à me demander (sans doute un peu tard) si vraiment le lecteur avait besoin de mon commentaire de ce "commentaire" pour en évaluer les limites.
Je ne voudrais pas non plus qu'il se trompe sur la vivacité, parfois, de mon propos : comme je ne réponds pas à ceux qui m'insultent, mon indignation déborde sur ceux à qui je réponds. Je sais que c'est injuste et je prie de m'en excuser l'auteur de ce travail que je respecte. Sincèrement.
Je suis conscient que si je m'oblige à le dire, c'est en effet que cela ne va pas sans dire...et aussi que ce que je viens de dire peut encore se réduire à de la stratégie de communication. Il me semble bien, toutefois, que ce sont toujours des arguments auxquels je m'en prends, ou des procédés, mais qui ne lui sont pas propres et se mettent en branle quasi mécaniquement, dans les situations de conflit.
Mes réactions peuvent être tout aussi mécaniques. J'aimerais seulement qu'elles soient rationnellement éclairantes. Je n'ai pas essayé de corriger autrement mon "style", tenant à lui garder autant de spontanéité que possible. Pardon tout de même, puisque je n'aurai pas manqué d'être blessant, ni même peut-être, parfois, d'avoir voulu l'être.

 




III- Saynète de campagne



 
Ça ne vous gène pas de voter avec Le Pen ?

– Aucunement : si chaque fois qu'on me demandait
« oui ou non ? », j'attendais la réponse de Le Pen pour choisir l'inverse, j'aurais encore moins d'indépendance d'esprit, à son égard, que je n'en suppose chez la plupart de ses propres électeurs.

 



 


IV- Commentaire de l'article « Aveuglement » de Maurice Allais

(paru dans Le Monde du 15-16 mai 2005, page 13)



 

      Si je m’appuie sur l’auteur de cet article, c’est d’abord, bien sûr, parce qu’il sera difficile d’en contester l’autorité (je sais que telle n’est pas la question, mais puisqu’on en est là ! Je veux juste dire qu’on aura plus de mal à regarder de très haut un prix Nobel d’économie qu’un jeune citoyen « idéaliste », un peu naïf –et c’est heureux !). Mais mon intention est surtout de clarifier, à partir de là, le sens des Arguments 13 et 16, parmi les plus furieusement attaqués par les Oui « de gauche » (pas du tout ceux « de droite », à une exception près) et dont je préfère annoncer tout de suite que je ne vois rien à y retirer.
Je reprends donc les points saillants de l’article de Maurice Allais, entrecoupés d’un simple commentaire cursif.

La question est ici de savoir si la Constitution proposée peut être interprétée comme un « rempart » contre « les excès du libéralisme ».


       Après une précision initiale sur l’équivoque du terme, selon qu’il est pris au sens politique ou économique, l’auteur souligne l’enjeu et la nécessité d’une réponse à la question qu’il pose en commençant par mettre en lumière une connivence qui trouble, entre Oui de gauche et de droite, sur la thèse de la Constitution-« rempart » :

« Je me bornerai ici à deux exemples particulièrement significatifs, parmi une multitude d’autres. Le 24 mars, Jack Lang a présenté sur RTL un exposé passionné soutenant que la seule protection contre "les excès du libéralisme" était l’adoption du projet actuel de Constitution. Le même jour, la presse faisait état de la "charge de Jacques Chirac contre l’Europe libérale", en s’appuyant précisément sur la protection qui serait assurée par le projet de Constitution contre les excès de l’"Europe libérale". »


       Cette mise en lumière confirme, évidemment, nos Arguments 2 et 4. Face aux affirmations gratuites, et d’autant plus péremptoires, des tenants de la Constitution-« rempart », l’auteur oppose (comme toujours les Non, et seulement eux !) le texte constitutionnel :

« En fait, l’article III-314 du projet de Constitution stipule : "Par l’établissement d’une union douanière, conformément à l’article III-151, l’Union contribue, dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres". Il résulte de cet article que non seulement la Constitution envisagée ne protège en aucune façon contre les excès du "libéralisme", mais au contraire que la Constitution projetée institutionnalise la suppression de toute protection des économies nationales de l’UE ». Arguments 13 et 16.

Soulignons la force particulière de l’article du texte constitutionnel auquel se réfère Maurice Allais : même si cette Constitution se contredisait (ce qui serait une raison suffisante pour la refuser : rappelons qu’un compromis entre le cercle et le carré ne peut pas être un "cercle carré", figure, par excellence, de l’absurde, et par conséquent de l’impossible), il n’y aurait aucun article à opposer à celui-ci, dès lors qu’il énonce une incontournable déclaration de principe et d’intention, à la lumière de laquelle doit être également compris ce qu’il entend par l’« intérêt commun », sans qu’il soit d’ailleurs précisé s’il s’agit de celui de l’Europe ou du monde, et pour une bonne raison : c’est que c’est indifférent dans la perspective, ici adoptée, d’une archi-mondialisation de l’Europe. Argument 13.


       Au paragraphe suivant, l’auteur prévient l’objection, ressassée par les Oui, que tout cela était déjà stipulé par le traité de Rome de 1957 (art. 110), en signalant, au passage, cette addition qu’il mentionne "sans commentaire" :

« Il est simplement ajouté, dans l’article III-314 du projet, "la suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers directs". »

     Je me permets, tout de même, d’insister : il ne faut pas croire un instant que cette Constitution (qui n’est pas un simple « traité ») ne serait pas plus libérale (plus libéraliste) que l’ensemble des traités antérieurs, que ce soit dans la lettre ou dans l’esprit. L’article 314, parmi beaucoup d’autres, nous oblige à constater l’exact contraire : outre cet ajout de « la suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers directs », il ne faut pas non plus manquer, en point d’orgue, l’avancée néolibérale que représente, relativement à la condamnation, déjà dans le traité de Nice, des « barrières douanières », l’imprécise précision qui étend à l’infini le champ des possibles ouverts au libre-échange et à la levée des barrières : « douanières et autres ».
Comme le note, avec son habituelle acuité, Jacques Généreux dans son Manuel critique du parfait Européen (p.73-74) :

« Dans le traité de Bruxelles, on a ajouté "et autres" pour oeuvrer à la suppression de toutes les protections déjà connues ou imaginables à l'avenir. Est ainsi notamment visée la protection du marché européen par des normes de qualité ou des normes sociales (sur la durée du travail, l'hygiène et la sécurité, le travail des enfants et des prisonniers, etc.). Faut-il rappeler que les Etats-Unis (...) se réservent le droit de mettre en place des mesures protectionnistes dès que l'exposition d'un secteur d'activité à la concurrence étrangère menace leur intérêt national ? ».


       J’en profite pour m’expliquer sur un point qui semble avoir fait problème, dans mon témoignage, en particulier pour plusieurs de mes correspondants d’Attac dont j’espère qu’ils trouveront ici une mise au clair suffisante.

       J’ai dit que je n’étais pas anti-libéral, au sens où j’admets qu’une politique libérale puisse être conjoncturellement opportune, voire la seule raisonnable. Ce que je récuse, en revanche, c’est le libéralisme idéologique, érigé, par cette Constitution, en principe normatif, déterminant pour toute politique à venir.
L’histoire (en cours) de la construction de l’Union européenne offre un exemple particulièrement éclairant de l’opposition que je viens d’expliciter : il me paraît difficilement contestable qu’une bonne dose de « libéralisme » ait été requise pour la création d’un « marché commun » européen –est-ce à dire que l’Europe se soit jamais obligée, pour cette raison, à convertir en une fin ce qui ne lui a été jusqu’ici qu’un moyen ?
On peut consulter minutieusement l’ensemble des traités antérieurs : c’est la toute première fois, dans cette Constitution, qu’il nous est demandé de reconnaître la pratique de la concurrence, et l’exigence de la compétitivité (entre autres), non pour de simples moyens, mais pour des objectifs prioritaires et constitutifs, désormais, de la définition même de l’Union. Argument 16.
Une telle proposition n’est pas seulement insensée du point de vue du droit, comme j’ai tenté de le montrer dans l’argument 16, elle est aussi, économiquement, désastreuse. Maurice Allais renvoie, sur ce sujet, à son analyse de 1999, dans La Mondialisation. La destruction des emplois et de la croissance. L’évidence empirique :

« L’application inconsidérée, à partir de 1974, de cet article 110 du traité de Rome a conduit à un chômage massif sans aucun précédent et à la destruction progressive de l’industrie et de l’agriculture. De là il résulte que l’argument présenté de toutes parts par les partisans du oui à droite et à gauche de la protection que donnerait le projet de Constitution à l’encontre des excès du "libéralisme" est dénué de toute justification réelle. Non seulement les partisans du oui trompent ceux qui les suivent, mais ils se trompent eux-mêmes ».

       Admirons la sereine bienveillance de ce dernier jugement ! Les « excès du libéralisme » sont-ils vraiment si redoutables pour tout un chacun, et en particulier pour nombre de détenteurs de capitaux qui soutiennent et financent avec tant de conviction la campagne du oui ?
S’il y a un aveuglement, il n’est pas que passif : j’aimerais comprendre à quels mécanismes tient l’efficacité de la technique d’aveuglement mise en œuvre par les "voyants" du Oui.
Je risque une explication qui n’est ni bienveillante ni malveillante, mais se fonde simplement sur l’argumentaire de la campagne du Oui où j’observe, à l’heure de la crise du textile, ce qu’on voudra bien me permettre d’appeler « l’exploitation du syndrome du mouton ».


       Chacun l’a compris : ce que l’on stigmatise, dans le fameux « mouton noir », c’est évidemment l’anti-« mouton de Panurge ». Et ce que Rabelais stigmatise dans son fameux « mouton de Panurge », c’est le comportement que voudrait nous convaincre d’adopter l’actuel chef de l’Etat, consistant à ne se déterminer que dans la plus parfaite conformité à la détermination de celui – et a fortiori de ceux – qui se sont déjà déterminés.
La fable de Rabelais nous en montre le danger. Mais s’il est nécessaire de le montrer, c’est que la pulsion moutonnière est en effet l’une de celles qui nous animent le plus animalement. Et pourquoi ? –Parce que nous savons bien que « l’union fait la force » : j’ai même entendu certains Oui regretter que l’on n’ait pas préféré cette formule, pour devise de l’Europe, à celle de « l’union dans la diversité ». D’où procède un tel regret ? –Dans le cas présent, me semble-t-il, d’une conception de l’union qui l’imagine d’autant plus forte qu’elle tend à la fusion, en une seule masse, de ses éléments constituants : devant le danger, serrons-nous bien fort les uns contre les autres, se disent les moutons, qu’il n’y ait plus, entre nous, même l’épaisseur fictive de la moindre douane, pas la moindre limite à notre fusion !
Ils oublient juste que ce n’est pas ce refus de la limite pour chacun d’eux qui peut suffire à en établir une entre eux et l’extérieur : ce refus n’a aucune chance de les protéger du loup, il ne fait que lui faciliter la tâche. Il est même permis de se demander si ce n’est pas précisément pour cette raison que les loups ont toujours tellement aimé les moutons…Argument 13


       Quittons donc nos moutons et revenons enfin à la lecture, autrement instructive, de notre prix Nobel, pour en citer la "conclusion" :

« Pour être justifié, l’article III-314 du projet de Constitution devrait être remplacé par l’article suivant : "Pour préserver le développement harmonieux du commerce mondial, une protection communautaire raisonnable doit être assurée à l’encontre des importations des pays tiers dont le niveau des salaires au cours des changes s’établissent à des niveaux incompatibles avec une suppression de toute protection douanière". »

       Cette conclusion en forme de proposition "alternative" est pour moi une bénédiction ! Elle l’est à beaucoup d’égards (entre autres en ce qu’elle témoigne d’exigence à la fois critique et si résolument "positive" chez ce grand esprit), mais je voudrais n’en retenir que ce qui intéresse le plus directement la clarification de ce que j’appelle (Argument 16) un « contre-Droit » (en réponse, tout particulièrement, à un de mes nouveaux correspondants inconnus du Oui de la "droite" libérale qui est devenu, pour moi, un véritable ami).

       Comparez, en effet, la rédaction de l’article 314 du projet de Constitution et celle proposée par Maurice Allais. L’une et l’autre sont à peu près de la même longueur. La seconde est un énoncé de droit, la première illustre à la perfection le sens que je donne à l’expression, sous la forme d’un énoncé de droit, de l’idéologie du contre-Droit.

       Une précision, d’abord : je ne conteste absolument pas que l’idéologie de l’économisme le plus libéral requière, ne serait-ce que pour ne pas se contredire, une indispensable dose de réglementation, réglant, non seulement le bon fonctionnement de la concurrence, mais aussi les conditions sociales de la plus haute compétitivité dont il peut paraître évident qu’elle s’accommode mieux de la paix que de la guerre, du moins celle intérieure à une société qui se veut concurrentielle, qu’il s’agisse d’une collectivité nationale ou supranationale ou de n’importe quelle entreprise privée.
En d'autres termes, le libéralisme n'a pas de vocation anti-sociale. Et il peut y avoir des circonstances où il se révèle plus efficacement social que le socialisme.
La "droite" et la "gauche" idéologiquement "libéralistes" s’entendent à merveille pour se caricaturer mutuellement, sur le fond de cette ambivalence : elles se caricaturent d’autant plus grossièrement qu’en réalité, leur opposition n’est plus qu’affaire de nuances, à peu près aussi politiquement indifférentes que celles qui distinguent, aux USA, les démocrates et les républicains. Or c’est à ce dilemme là que le projet de Constitution rêve justement de nous acculer (cf. plus haut : Lecture critique d’un commentaire de l’Exposé des arguments, point 4).

       Mais où la caricature atteint à l’absurde, c’est dans l’effort de la "gauche" (pour "mordre" sur l’électorat de "droite" sans y perdre toute identité) de se démarquer du libéralisme (dont elle ne parle jamais) en ne s’en prenant qu’à ce qu’elle nomme l’ultralibéralisme (dont le projet de Constitution serait exempt). Voilà le point sur lequel je voudrais essayer d’en arriver à l'essentiel, du moins en ce qui regarde cette Constitution. Car j'ai entendu souvent revenir l'argument : «Comment peut-on taxer d'ultra-libéral un texte auquel on reproche, dans le même temps, son inflationnisme juridique? N'importe quoi ! etc.»
C'est un redoutable leurre, me semble-t-il, de s'imaginer que le bon critère de discrimination, entre libéralisme et ultra-libéralisme, se réduirait à une différence quantitative de réglementations nécessaires dans l'un et l'autre cas : c'est-à-dire une quantité moindre dans le second, et idéalement nulle.
Je voudrais mettre en évidence que, dans la situation présente, c'est juste l'inverse qui est vrai : qu'autrement dit, tout comme le libéralisme suppose des règles (y compris sociales), pour la même raison, l'ultra-libéralisme, appliqué à la réalité européenne, suppose, à son tour, un "ultra-réglementarisme" –précisément celui qui exige la constitutionnalisation de la partie III du projet (dérobée, soit dit en passant, à la lecture du peuple espagnol, ce qui frappe de nullité son Oui à un référendum dont je rappelle, par ailleurs, qu'il n'avait de valeur que consultative).

       Il n'y a rien dans ma thèse de très paradoxal.
       Si on écrit une Constitution, c'est bien pour modifier, en cela même, l'état de fait – ou de droit – qu'elle est censée régir. Et chacun sait que la première des conditions, pour changer une situation donnée, c'est d'abord de la prendre en compte et même, autant que possible, de s'y conformer : autant que possible et d'autant plus minutieusement que l'on vise à un changement plus profond.
Prenons une image : si je veux dénouer un noeud, il me faut bien m'efforcer, plus ou moins à tâtons, de reprendre, en sens inverse, la ligne du mouvement qui a permis de le nouer. Or il faut comprendre que dans la visée de l'ultra-libéralisme, le droit est un noeud : un noeud qui entrave le libre jeu de la concurrence et du marché. Un noeud qu'il s'agit donc, avant tout, de dénouer. Le principe de ce mouvement qui consiste à se délier du Droit, c'est précisément là ce que j'appelle contre-Droit.
Dénouer un noeud, l'expérience nous apprend qu'en général, ce n'est pas aussi facile que de le nouer. C'est encore moins facile à l'échelle de l'Europe où, à vingt-cinq Etats-membres, on n'a plus affaire à un noeud, mais à un véritable "sac de noeuds" ! Que ne ferait-on pas cependant, pour un pareil (inédit!) retour à la barbarie !

       Tout ce que j'essaye de dire, en effet, c'est simplement qu'en assimilant la concurrence, non seulement à un droit, bien sûr, mais à un principe à la fois normatif et déterminant de toute action politique et de toute initiative économico-sociale, cette Constitution nous oriente sans équivoque dans le sens d'une guerre mondiale, au moins économique, où l'Europe qu'elle aura en même temps désarmée pour une telle guerre (Argument 13) et militairement inféodée à l'OTAN (Argument 14) ne pourra que voir se dissoudre son identité dans une exacerbation des rivalités nationales (Argument 19, et Lecture critique d'un commentaire de l'Exposé des arguments, points 8 et 9, sur l'inclusion littérale de la directive Bolkestein dans le projet de Constitution).

       Sur un exemple qui, on l'a montré, est bien plus qu'un exemple, Maurice Allais nous renvoie au "bon sens" : à l'urgence de "renouer" avec le Droit, c'est-à-dire de renouer entre nous ce lien qui seul peut nous unir dans notre diversité face aux autres, qui le peut seul, mais surtout le doit, parce qu'il n'y a que sur cet idéal d'un impossible règne absolu du Droit que se fonde ce qui nous anime, notre volonté, notre humanité, notre raison d'être et d'agir –notre désir d'Europe, d'une Europe, en effet, digne d'être désirée.

 







V- L'inédit toujours inédit

(jamais repris dans aucun média ni par aucun acteur politique)
L'argument 9 : sur l'après 29 mai...



 

       Une Constitution européenne, pour autant qu’elle en soit une et qu’elle s’applique à l’Europe d’aujourd’hui, ne peut que comporter des dispositions institutionnelles permettant de fonctionner à 25 Etats membres.
Il est donc absurde de porter au crédit de la "Constitution" particulière que l'on nous propose, et de présenter comme une avancée majeure, ce qu’elle ne pourrait de toute façon pas ne pas comporter sans renier son caractère de Constitution.
Dimanche 29 mai, nous ne votons pas seulement pour ou contre des aménagements institutionnels permettant de fonctionner à 25, c’est-à-dire pour ou contre une Constitution pour l’Europe, mais pour ou contre cette Constitution européenne qui, à des dispositions proprement institutionnelles, ajoute des prescriptions économiques exclusivement libérales (notamment dans sa partie III).

       Par conséquent, si le Non l’emporte le 29 mai, on ne saurait en rester au statu quo, tel que synthétisé dans la partie III, contre lequel nous nous serons justement exprimés. S’il vote Non, le peuple français – tenants du Oui et tenants du Non s’accordent à le dire (argument 2) – s’exprimera clairement contre les évolutions par trop libérales de l’Union : il faudra en tenir compte, ou tenir pour nulle et non avenue la volonté du peuple (argument 8).

       En tenir compte, cela ne peut que signifier de renégocier les traités antérieurs qui, contenus dans la partie III, auront été expressément rejetés par le suffrage universel (argument 9).

       A ce stade du raisonnement, on pourrait croire permis d’objecter encore, pour défendre un retour au statu quo en cas de rejet de la Constitution, qu’il ne sera pas possible de renégocier le traité de Nice qui s’appliquerait alors par défaut, dans la mesure où il ne peut être modifié qu’à l’unanimité des Etats signataires.

       A quoi il faut répondre que l’unanimité requise pour modifier le traité de Nice est déjà acquise : le simple fait d’avoir soumis aux peuples européens un projet de Constitution à ratifier implique, d’ores et déjà, pour tous les Etats signataires, d’avoir admis, en fait et en droit, la péremption du traité de Nice. Sans quoi ils n’auraient pu initier ce projet de Constitution, ni le signer.

       Par conséquent, c’est non seulement un droit mais une exigibilité politique absolue d’entendre la volonté populaire et de renégocier les traités antérieurs, incluant le traité de Nice, qui auront été désavoués dans la Constitution (partie III comprise).

 


thibaud.delahosseraye@wanadoo.fr


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